Pourtant, le voyage reste ma source vitale d'énergie et à défaut de faire mes valises, je continue à parcourir le monde dans ma tête. Mes amis me disent que cela doit être difficile à vivre pour un nomade comme moi. Oui et non. Il n'y tout d'abord pas le choix, et surtout il y a une volonté affirmée de vivre pleinement ce temps étrange.
Pour moi, il est facile de partir. Il me suffit de mettre quelques affaires dans une valise, deux trois chemises, des sous-vêtements, un pantalon de rechange et des affaires de toilette, de passer le pas de la porte et hop!, c’est parti pour le grand saut vers l’inconnu. Ne pas me retourner, surtout ne jamais me retourner. Ne pas vouloir sentir le souffle chaud de la maison qui tente de me rattraper. Avancer, droit devant, en me permettant ici ou là quelques sorties de route histoire de voir à quoi ressemble le monde en dehors des sentiers battus. Ne pas me soucier de savoir si la porte est fermée à clés. Oublier. Ne plus me souvenir. Rayer, raturer, effacer. C’est facile, non ?
Il m'est plutôt aisé de partir sans vraiment me préoccuper de ceux qui sont restés derrière, comme si de toute façon l’espace-temps, le vrai, l’unique, n’était que celui que je promène avec moi et qui me colle aux basques, agrippé à mes talons d’Achilles, collant à mes doigts comme un vulgaire morceau de ruban adhésif, incrusté sous la semelle de mes chaussures comme un chewing-gum que je n'ai su éviter.
Il m'est relativement facile de partir, mes souvenirs sous le bras, le sac en bandoulière, avec quelques photos dans mon porte-feuille, mon avenir pour seul horizon, en oubliant ce que le mot souci veut dire, en enfouissant au plus profond de mon être toutes mes douleurs. Quoi de plus simple en apparence que de regarder ma valise s’éloigner sur le tapis roulant à l’aéroport, en espérant tout de même la revoir à l’autre bout du monde, dans un autre monde ?
Putain qu’il me parait facile de partir ! Un départ n’est-il pas qu’une simple succession de pas ? Mettre un pied devant l’autre pour avancer mécaniquement ? Parfois, l’un derrière l’autre. Au final cependant, un départ reste une fuite en avant, un exil.
Partir, c'est juste tirer ou pousser ma valise devant moi, selon l’humeur du moment, selon l’envie. En général, je la pousse, volontaire, comme pour lui dire: « Allez, avance salle bête et arrête de te retourner, regarde devant toi. » Si je la pousse c’est peut-être en fait pour la suivre, pour me donner un but dans le départ, pour me laisser entraîner, par lâcheté et abandon. « Ce n’est pas moi qui m’en vais, regarde, c’est cette fichue valise qui ne tient pas en place. »
Merde, c’est pas si simple de partir sans vraiment savoir où l’on va. Et ce n’est pas une destination affichée sur le tableau électronique des départs dans le hall de l’aéroport qui m'en dit beaucoup plus finalement. Il me faut arriver à destination pour vraiment prendre toute la dimension d’un voyage et me rendre compte de ce que je découvre mais surtout pour prendre conscience de ce que j'ai laissé derrière moi.
Que ce soit en voiture, en train et qui plus est en avion, en quelques heures je peux me retrouver au minimum dans un simple ailleurs, mais bien souvent, dans un tout autre univers, une autre culture, avec d’autres gens, une autre mentalité. Pour cela, j'ai du zapper les miens et tous ceux que j'ai laissé sur le quai d’une gare, au bord d’une route, ou dans le hall d’un aérogare, de l’autre côté des contrôles de sécurité. Une fois en vol ou lancé à 300 km/h dans un train à grande vitesse, je sort du temps. Son référentiel se déplace à la vitesse de mon véhicule et il met entre parenthèses l’infinité qui défilent sous mes yeux.
A l’heure où j’écris ces lignes, je suis confiné. Mais je rêve de Bermudes. Pourquoi les Bermudes ? Je ne sais pas vraiment. Peut-être parce que je n'y suis jamais allé. Peut-être à cause du célèbre Triangle, et des disparition qui lui sont imputées… Je m'imagine à 11km d’altitude, avec un chapelet d’îles paradisiaques qui défilent sous mes pieds. Mais le sont-elles vraiment, paradisiaques ? Comment les gens vivent-ils, eux, leur océan turquoise et leur plage de sable blanc ?
Ca me fait un mal de chien de partir. Vous voyez pas comme je saigne ? Là où je vais il n’y aura personne pour panser mes plaies. Aucun bras ne seront assez forts pour me faire oublier ce présent que j’ai abandonné, que j’ai préféré, dans un accès et un excès d’égoïsme. J'ai laissé tout le monde se dépatouiller avec les tracas du quotidien, alors que moi, Monsieur, je survole, sur-vole, et sous-estime le monde.
C'est nul de partir. Vous croyez que c’est simple, vous, et qu’il suffit de jeter, que dis-je, de balancer quelques vêtements dans cette satanée valise ? Foutaise ! Partir c’est un peu mourir, au mieux c’est changer de vie, au pire c’est la perdre en ayant le secret espoir d’en retrouver une autre plus belle, plus sauvage, plus lointaine. Pourtant j’ai le sentiment qu’il n’y a pas plus attaché à ses racines, il n’y a pas plus amoureux de la vie que celui ou celle qui s’en va.
Voyager c’est avant tout accepter de me mettre en danger pour mieux embrasser la vie, pour mieux en relativiser les affres et pour ensuite témoigner de ce que j'ai vu. Voyager c’est être le trait d’union entre deux mondes, entre deux antipodes. C’est, dans un élan d’égoïsme pur, m’oublier totalement en laissant derrière moi mes racines et mon moi-profond, pour me donner aux autres.
C'est fatigant de partir. Mon coeur saigne et mon corps pleure. C’est douloureux et c’est parce que ça l’est que je ne doit pas me retourner, mais au contraire affronter mes peurs et mes angoisses, faire face au vide, accepter la page blanche telle qu’elle se découvre et aller plonger la plume de mon âme dans de nouveaux encriers. Je dois prendre sur moi le mal que je fait aux êtres qui me sont chers, mes amis, ma famille, à celles et ceux qui sont restés sur le quai et qui vont vivre leur présent routinier et rassurant sans l’exaltation de la découverte. Je doit prendre à bras-le-corps ce nouveau monde auquel je dois m’offrir totalement.
C’est lourd de partir. Lourd à porter et à supporter, mais c’est un mal nécessaire, car sans départ, il n’y a pas de retour possible.
Mais cela reste compliqué de revenir quand pendant des jours, voire des semaines, je suis sorti du train-train et des petites habitudes. Etre de retour, être là sans l’être, suggérer des images sans odeur et sans saveur, en rapporter d’autres comme si je proposait de regarder un reportage aseptisé à la télévision… tel est le lot quotidien du voyageur que je suis. C’est sans parler de cette valise que je laisse traîner au milieu de la vie des autres comme un trophée, comme un totem dérobé dans des contrées lointaines, comme un poignard sanguinolent qui ne fait que rappeler l’absence.
Quelle laideur, cette valise ! Bancale à force d’avoir trop roulé, à force d’avoir été trop jetée et entrechoquée. Griffée, cognée, boursoufflée, enfoncée, déglinguée, rafistolée, salopée, décolorée, étiquetée, cicatrisée, collée et recollée, égratignée… Et elle trône arrogante et puante au milieu du salon comme pour dire: « Vous voyez d’où je viens, vous comprenez ce que j’ai vécu. Non, ça vous ne pouvez pas le comprendre… »
C’est étrange de revenir après une longue absence et de retrouver mes affaires ‘jetées’ pêle-mêle dans un coin. « Ben oui, t’étais pas là mon p’tit gars. On n'allait pas t’attendre. Et puis comme de toutes les façons, tu vas finir par repartir… »
Le voyageur est souvent incompris, même si en premier lieu il fait des envieux. Les bus, les trains et les avions sont remplis de tous ces gens virtuels qui vous disent à longueur de temps : « Oh, mais tu voyages tant. Quelle chance ! Tu peux pas m’emmener avec toi ? »
« Et toi tu sais ce que cela veut dire de partir ? » répond-je du haut de mon arrogance, les épaules ployant sous la charge de la solitude.
Cela reste plutôt doux de revenir. Enfin arrêter de pousser ma valise, la poser dans un coin, l’ouvrir pour qu’elle aussi respire ce parfum de ‘Home Sweet Home’, cette indéfinissable odeur de nid que j'ai quitté pour mieux en apprécier la douceur et que je pourrais retrouver après des milliers de kilomètres parcourus tels ces sterns arctiques qui font le tour du monde pour revenir pondre sur le même littoral qui les a vues naître.
Bien sûr une valise ça a mauvaise haleine, ça sent sous les bras, ça ramène des odeurs étrangères. Quelle horreur ! Quelle horreur ? Mais n’est-elle pas aussi là, ne réside-t-elle pas dans ces petits détails, la magie du voyage ? Quand elle s’ouvre, ma valise libère aussi un doux parfum de forêt chinoise embrumée, d’épices des îles, de sable du Sahara, entremêlée avec la fumée d’un cigare de havane, l’odeur imperceptible du kérosène des aéroports, du parfum de ces femmes croisées de loin, dont la silhouette semble avoir, comme par magie, imprimé les plis de mon linge froissé.
Cette valise qui s’ouvre libère du bonheur, du plaisir et du fantasmes, des histoires avouées et inavouables, des soirées alcoolisées et des lendemains douloureux, des moments de grande vérité et de petits mensonges. Ou alors est-ce l’inverse ?
Quand je reviens enfin à la maison, à mon port d’attache, que je m’arrime à quai, ne craignant plus ni bourrasque, ni tempête, c’est tout mon esprit et tout mon corps qui respire encore cet ailleurs visité et exploré. Alors non, il n’est pas aisé de revenir pour se glisser dans des pantoufles qui ne paraissent jamais à la bonne taille, mais qu’il reste doux et agréable de pouvoir libérer autour de soi quelques atomes de connaissance et de tolérance, un je ne sais quoi de « regarde, écoute, sens, respire, touche et dis-toi que nous sommes biens ici. »
Revenir c’est avoir l’humilité de ne pas tout déranger et bousculer. C’est avoir la sagesse de rester en retrait et observer le monde et son monde avec amour. Revenir c’est témoigner, partager, faire savoir et savoir faire.
Ô qu’il est bon de revenir, de serrer les gens qu'on aime comme si c’était à chaque retrouvaille une nouvelle naissance. Qu'il est doux de les étouffer de chaleur en les noyant sous l'affection, s’enivrer de leur parfum. La rareté fait de ce plat toujours redécouvert un instant d’éternité. Même si c’est dur, qu’il est beau de partir et de revenir.
Je me pose enfin chez moi, après ce long voyage et je suis bien.
En attendant, #restezchezvous!
However, travel remains my source of vital energy and, without being able to pack my bags, I continue to travel the world in my head. My friends often tell me that it must be difficult for a nomad like me to live with this situation. Yes and no. First of all, there is no choice, and above all there is an asserted will to live fully this strange time.
For me it is easy to leave. All I need to do is pack a few things in a suitcase, two three shirts, underwear, spare pants and toiletries, walk out the door and presto, let's go for the big jump to the unknown, without turning around, never turning around. Without feeling the warm breath of the house trying to catch me. To go forward, straight ahead, allowing me here and there a few road trips to see what the world looks like off the beaten track. To not worry about whether the door is locked or not. To forget. To not remember anything anymore. To scratch, cross out, and erase. It’s easy, right?
It is rather easy to leave without really worrying about those who remained behind, as if in any case space-time, the real one, the only one, was only the one that I walk with and that sticks to shoes, clinging to my Achilles heels, sticking to my fingers like a vulgar piece of adhesive tape, encrusted under the sole of my shoes like a chewing gum that I could not avoid.
It is relatively easy to leave, my memories under my arm, a bag on my shoulder, with a few photos in my wallet, my future as my only horizon, forgetting what the word 'worry' means, burying it deep in my heart. What could be simpler in appearance than watching my suitcase go away on the conveyor belt at the airport, hoping to see it on the other side of the world, in another world?
F... it seems easy to leave! Isn't a departure just a simple succession of steps? Put one foot in front of the other to mechanically move on? Sometimes one behind the other. In the end, however, a departure remains a headlong flight, an exile.
Leaving is just pulling or pushing my suitcase in front of me, depending on the mood. In general, I push it, voluntary, as if to say: "Come on, go there and stop turning around, look ahead." If I push it, it may be in fact to follow it, to let myself be drawn, out of cowardice and to give up. "It’s not me who’s going, look, it’s this suitcase that doesn’t stay in place."
Shit, it's not that easy to leave without really knowing where you're going. And it’s not a destination on the electronic departure board in the airport hall that tells me much more. I have to arrive at my destination to really take on the whole dimension of a trip and realize what I am discovering but above all to be aware of what I have left behind.
Whether by car, train or even by plane, within a few hours I can find myself in a simple elsewhere, but very often, in a completely different universe, another culture, with other people, and other mentality. For that, I had to skip all those who I left on the platform of a station, at the edge of a road, or in the hall of an airport terminal, on the other side of the security controls. Once in flight or launched at 300 km/h on a bullet train, I go out of time.
As I'm writing, I am confined. But I dream of Bermuda. Why Bermuda? I do not really know. Maybe because I have never been there. Perhaps because of the famous Triangle, and the disappearances which are imputed to it… I imagine myself at 11km of altitude, with a chain of paradisiac islands which parade under my feet. But are they really paradise? How do people live there with their turquoise ocean and their white sand beach?
It hurts me to leave. Can't you see how I'm bleeding? Where I go there will be no one to heal my wounds. No arm will be strong enough to make me forget this present that I have abandoned, that I preferred, in an excess of selfishness. I let everyone get away with the daily hassles, while I, Mister, fly over, and underestimate the world.
It sucks to leave. You think it's simple, you, and that you just have throw a few clothes in this damn suitcase? Rubbish! To leave is to die a little, at best it is to change your life, at worst it is to lose it by having the secret hope of finding another more beautiful, wilder, more distant somewhere. Yet I have a feeling that there is no one more attached to the roots, there is no more in love with life more than the one who leaves.
Traveling is above all accepting to put myself in danger to better embrace life, to better relativize the horrors and then to testify to what I have seen. To travel is to be the link between two worlds, between two antipodes. It is, in a surge of pure selfishness, to forget myself completely by leaving behind my roots and my deep self, to give myself to others.
It's tiring to leave. My heart is bleeding and my body is crying. It is painful and it is because of that that I must not turn around, but on the contrary face my fears and my anxieties, face the void, accept the blank page as it is in front of my eyes and go diving the pen of my soul in new inkwells. I must take upon myself the harm that I do to the people who are dear to me, my friends, my family, to those who stayed on the quay and who are going to live their routine and reassuring present without the excitement of discovery. I have to take on this new world to which I must offer myself completely.
It’s heavy to leave. Heavy to carry and bear, but it is a necessary evil, because without a departure, there is no return possible.
But it's still complicated to come back when for days, even weeks, I got out of routine. To be back, to be there without being there, to suggest odorless and tasteless images, to bring back other pictures as if I offered to watch a sanitized report on television ... that is the daily lot of the traveler that I am. Not to mention this suitcase that I leave lying around in the middle of other people's lives like a trophy, like a totem stolen from distant lands, like a bloody dagger which only reminds of absence.
What ugliness, this suitcase! Wobbly by having rolled too much, by having been thrown and knocked. Scratched, banged, puffed up, sunken, broken down, patched up, dirty, discolored, labeled, scarred, glued... And it sits arrogant and stinking in the middle of the living room as if to say: "You see where I come from, you understand what I experienced. No, that you cannot understand… ”
It’s strange to come back after a long absence and find my stuff thrown ’stuff in a corner. "Yep, you weren't there my little guy. We weren't going to wait for you. And then like in any case, you will end up leaving again…”
The traveler is often misunderstood, even if in the first place people are envious. Buses, trains and planes are filled with all these virtual people who tell you all the time, "Oh, but you travel so much. What luck ! Can't you take me with you? "
"Do you know what it means to leave?" I reply from the top of my arrogance, my shoulders bending under the burden of loneliness.
It’s pretty sweet to come back. Finally stop pushing my suitcase, put it in a corner, open it so that it too breathes this scent of 'Home Sweet Home', this indefinable smell of nest that I left to better appreciate the sweetness that I could find after thousands of kilometers traveled like these arctic sterns that go around the world to return to lay eggs on the same coastline that saw them born.
Of course a suitcase has bad breath, it smells under the arms, it brings back foreign smells. How awful ! How awful ? But isn't it also sweet, doesn't it reside in these little details, the magic of travel? When it opens, my suitcase also releases a sweet scent of misty Chinese forest, spices from the islands, sand from the Sahara, intermingled with the smoke of a Havana cigar, the imperceptible smell of kerosene from airports, and perfume of these women crossed from afar, whose silhouette seems to have, as if by magic, printed the folds of my crumpled clothes.
This suitcase releases happiness, pleasure and fantasies, confessed and unspeakable stories, alcoholic evenings and painful mornings, moments of great truth and little lies. Or is it the contrary?
When I finally come home, to my home port, that I dock at the quay, no longer afraid of gusts or storms, it is my whole mind and my whole body that still breathes this elsewhere places that I visited and explored. So no, it is not easy to come back to slip into slippers that never seem the right size, but it remains soft and pleasant to be able to release around you a few atoms of knowledge and tolerance, a taste of “look, listen, smell, breathe, touch and tell yourself that we are good here."
To come back is to have the humility of not disturbing everything. It is having the wisdom to stand back and observe the world with love. To come back is to witness, to share, to know and to know how.
O how good it is to come back, to hug the people you love as if it were a new birth every time you reunite. How sweet it is to smother them with heat by drowning them in affection, getting drunk on their scent. The rarity makes this dish always rediscovered like a moment of eternity. Even if it’s hard, it’s beautiful to leave and come back.
I finally land at home, after this long journey and I am well.
In the meantime, #stayathome!