Nous sommes désormais 67 millions de Français à être placés à l'isolement. Interdiction de sortir, interdiction de socialiser, interdiction d'avoir des contacts à moins d'un mètre avec d'autres reclus. Nous sommes des naufragés, prisonniers de nos propres demeures.
Même si nous sommes plongés dans un univers d'incertitudes depuis que les douze coups de midi ont sonné, et même si je n'ai quasiment pas mis le nez dehors, en bon petit soldat, tout reste encore un peu irréel, impalpable. Dans quelques jours les brumes de ce mauvais rêve se seront dispersées et les choses paraîtront peut-être un peu plus 'normales'. Comment parler de normalité cependant lorsque la base même de la liberté individuelle est sacrifiée pour la bonne cause de la sauvegarde de toute une société ?
Cela faisait pourtant quelques jours que je m'y préparais mentalement et depuis mon retour du Maroc il y a un peu plus d'une semaine, je m'étais fait à l'idée de cette mise en retrait de la société, ne sortant que pour aller prendre l'air autour du lac de mon enfance. Je continuais pourtant à vouloir me persuader que j'allais me réveiller et rigoler devant tant d'inepties. Mais non, tout est si réel. Il n'y a plus, ou alors de moins en moins, de bruits dans la rue. Les voitures se sont figées attendant d'être recouverte de poussière. On entend encore au loin quelques rires d'enfants dont les parents ont l'énergie de les distraire... pour combien de temps? Le soleil, lui, brille, les oiseaux chantent et volent. Eux au moins sont libres.
Ce matin, j'ai préparé mes formulaires de sortie qui me permettront de pouvoir, lorsque ce sera nécessaire, faire les courses pour remplir à nouveau le réfrigérateur autour duquel ma nouvelle vie s'articule.
Oh, je ne suis pas inquiet de ce côté, je n'ai pas peur de manquer de nourriture. Je n'ai pas fait de stock malgré tout. Je ne suis pas tombé dans l'hystérie collective engendrée par l'angoisse de fin du monde qui s'est emparée de certains alors qu'ils faisaient face à leurs peurs les plus primaires et affolantes. Mais, force est de constater que je tourne beaucoup autour de ce fameux frigo. Il va falloir faire un peu attention ou alors chaque jour d'isolement se transformera en kilogramme sur la balance. Chaque chose en son temps. Je dois tout d'abord prendre mes marques, trouver les ressorts nécessaires à l'établissement d'une nouvelle routine où l'essence même de ma vie de nomade s'est évaporée.
Si tout cela parait bien morose, il ne faut pas se fier au apparences. Je vais bien, je suis bien. Je suis prêt et philosophe. Comment ne pas l'être, pourquoi ne pas l'être ? De toute façon il n'y a rien que je puisse faire si ce n'est avoir le sentiment que à ma toute petit échelle je participe au devoir collectif de redonner la liberté à tout un peuple lorsque ce fichu virus se sera éteint de sa 'moche' mort.
We are now 67 million French people to be placed in solitary confinement. Prohibition to go out, prohibition on socializing, prohibition to have contacts within a meter with other recluses. We are shipwrecked, prisoners of our own homes.
Even if we have been suddenly dropped into a universe of uncertainties since noon today, and even if I hardly put my nose outside, like a good little soldier, everything is still a bit unreal, intangible. In a few days the mists of this bad dream will have dispersed and things may seem a little more 'normal'. How to speak of normality, however, when the very basis of individual freedom is sacrificed for the good cause of the safeguard of an entire society?
However, it had been a few days since I was mentally preparing myself. Since my return from Morocco a little more than a week ago, I had got used to the idea of this withdrawal from society, only coming out to get some fresh air around the lake of my childhood. However, I still wanted to convince myself that I was going to wake up and laugh in front of so many nonsense. But no, everything is so real. There is more, or let's say less and less, noise in the street. The cars froze waiting to be covered with dust. We still hear in the distance some laughter from children whose parents have the energy to distract them ... for how long? The sun is shining, the birds are singing and flying. They at least are free.
This morning, I prepared the forms which will allow me, when necessary, to do the shopping to refill the refrigerator around which my new life revolves.
Oh, I'm not worried about that, I'm not afraid of running out of food. I did not stock anyway. I did not fall into the collective hysteria engendered by the end of the world fear which took hold of some people when they faced their most primary and maddening fright. But, it is clear that I turn a lot around this famous fridge. I will have to be a little careful or else each day of isolation will turn into kilogram on the scale. Everything in its time. I must first take my marks, find the necessary ressources for the establishment of a new routine where the essence of my nomadic life has evaporated.
If all this seems very gloomy, don't trust appearances. I'm fine, I'm very fine. I am ready and a philosopher. How not to be, why not be? Anyway there is nothing I can do except to have the feeling that on my very small scale I participate in the collective duty to give freedom back to a whole people when this damn virus will be gone.